#2 - Karen - Martinique - Février 2021
Dans ce Vwayage avec Karen, nous évoquerons l’écologie, une agriculture durable, des produits bio, l’association dans laquelle elle travaille pour permettre aux Martiniquais.es de se nourrir sainement.
Le minimalisme, la construction de sa Tiny House de ses propres mains, si si !! 💪🏽
L’importance de s’écouter en tant que femme, de ne pas se mettre de barrières, notre capacité à faire nous-mêmes, la puissance de notre détermination...
Enfin, Karen nous partagera sa citation inspirante 🙋🏽♀️
« Vous ne pouvez pas mener à bien des changements fondamentaux sans un certain degré de folie. »
⚓️ Merci beaucoup Karen pour avoir accepté mon invitation pour cette conversation.
Nous nous sommes rencontrées à l’atelier Koudmen que tu as organisé au Prêcheur, avec l’association Ta Nou dans laquelle tu travailles. Est ce que tu veux nous en parler davantage ? Comment est tu rentrée dans l’association et quelles sont tes missions ? ⚓️
Oui, avec plaisir. Alors l’association est assez jeune car elle est née en 2017. Suite à l’envie d’une jeune Martiniquaise qui a eu un super parcours d’études, elle a fait l’École Normale Supérieur (ENS) ainsi que l’Institut d’études politiques (IEP). Elle a eu envie de rentrer en Martinique pour mettre ses compétences au service de l’île. Elle a eu l’occasion de faire un stage dans l’agro-écologie au Brésil et ça l’a énormément sensibilisée à toutes les thématiques liées à la culture durable et l’autonomie alimentaire. Quand elle est rentrée en Martinique, elle s’est demandée ce qu’elle pourrait faire, notamment aider l’île à développer son autonomie alimentaire autour d’une alimentation qui serait bonne pour la santé, sans pesticide de synthèse, sans produit toxique : une alimentation basée sur l’agriculture la plus naturelle possible.
Elle a donc créé l’association Les cols verts Martinique. C’est un réseau qui est international. Il y a des antennes en France Hexagonale, mais aussi en Afrique, en Tunisie, au Bénin et dans d’autres pays. Elle a commencé par des projets pédagogiques autour de la permaculture, de l’agroécologie, dans des fermes partenaires. En 2018, elle a créé une ferme agroécologique au Prêcheur dans le nord de l’île. Le premier projet a été construit sous forme d’ateliers de chantiers d’insertion, qui a permis d’accompagner des publics éloignés de l’emploi dans leurs projets professionnels et dans leurs problématiques sociales. En même temps, ils et elles apprenaient à travailler la terre, à produire leurs nourritures et à travailler autour de cette agriculture, propre, respectueuse de l’environnement, qui travaille et s’inspire du fonctionnement de la nature. Par la suite, d’autres projets sont nés. Petit à petit, l’association s’est vu confier le tout premier PAT de Martinique, qui est un Projet Alimentaire Territorial. Pour faire très simple : on fait un diagnostic sur comment les habitants se nourrissent et comment on peut améliorer leur alimentation, en l’occurrence sur la commune du Prêcheur. Ça a donné lieu a de nombreuses actions qui sont en train d’être mises en place actuellement. On s’est rendu compte que les habitants de la commune du Prêcheur allaient faire leurs courses en zone centre alors que c’est une commune agricole. Pourquoi ? Parce que les agriculteurs vendent leurs produits en grande surface dans le centre. Les habitants du prêcheur sont donc obligés de prendre leurs voitures pour aller faire leurs courses dans le centre, ce qui est très dommage car leur nourriture est produite dans leur commune. Une association est en train de se créer pour regrouper les agriculteurs de la commune, les encourager à avoir une nourriture bien plus propre, sans pesticide de synthèse et qui puisse en plus, créer des marchés pour les habitant.e.s afin qu’ils et elles puissent accéder aux produits directement sur leur propre commune.
L’idée c’est de mettre en place, pleins d’actions comme celle-ci.
Je suis arrivée en 2019 dans l’association après avoir fini mes études à Bordeaux.
J’ai vécu et travaillé 6 ans dans une entreprise d’insertion d’Emmaüs, dans ce que l’on appelle l’économie circulaire, notamment autour du réemploi numérique, réemploi d’ordinateurs, de téléphones. J’étais chargée de communication et chargée de projets.
Je savais déjà en partant de l’île que j’allais revenir en Martinique. Je suis partie car j’avais besoin d’ouvrir mes horizons, on va dire ! Et me prouver à moi même que je pouvais me débrouiller toute seule et être autonome, loin des parents. Ils ont toujours été de très gros soutiens !
Et après ses 6 années de travail, je suis rentrée en Martinique.
C’est ce que je me suis toujours dit : je finis mes études, je travaille 5/6 ans, je rassemble pleins de compétences, pleins de savoir-faire, et je viens réinvestir le tout chez moi.
C’était de très belles années mais c’est très naturellement que je suis rentrée à la maison en janvier 2019, avec ma maison, on en parlera tout à l’heure.
Karen Co-directrice de Ta Nou Bio |
En Mars 2019, j’ai été employée au Col vert. Quand j’ai vu l’offre d’emploi, je me suis dit « c’est moi ! ». Je me suis vraiment projetée dans le poste. Je savais que j’avais envie de faire de la gestion de projet. Je savais que je voulais travailler sur des problématiques environnementales. Ça fait un moment que dans ma vie personnelle, je mets en place de nombreuses actions écologiques. Je me retrouve Chargée de Développement au sein de l’association, avec pleins de missions intéressantes, notamment trouver des financements pour mener à bien nos projets, développer des partenariats, mettre en place des projets pédagogiques à la ferme, accompagner des porteurs de projets agricoles qui veulent s’installer en agroécologie et/ou en agriculture biologique. Quoi qu’il en soit une agriculture durable, respectueuse de l’environnement.
On les aide à trouver un terrain pour les aider à s’installer, c’est encore d’une façon assez informelle, mais en tout cas les aider à devenir agriculteur. C’est une grande aventure qui commence, avec pleins de rencontres, pleins de projets passionnants ...
Et puis un super beau projet est né en décembre 2019 : Ta Nou Bio
C’est une plateforme où les habitant.es peuvent aller sélectionner ses produits bio. On travaille avec une quinzaine d’agriculteurs certifiés bio en Martinique. Les client.e.s peuvent créer leurs paniers et on s’occupe de récupérer les produits chez les agriculteurs, concevoir et faire les paniers. Soit nous livrons ou soit ils peuvent venir récupérer leurs paniers au sein de l’association.
⚓️ Comment sais tu que l’agriculture est certifiée bio ? Quelle est la procédure pour savoir si c’est vraiment du bio ? ⚓️
Un agriculteur qui souhaite passer en bio, se fait certifier. Un organisme externe et certificateur, se base sur le cahier des charges de l’agriculteur biologique vérifier que l’agriculteur respecte bien l’ensemble du cahier des charges. Il comprend de nombreuses directives et contraintes, entre autres, il ne faut pas utiliser de pesticides de synthèse.
L’idée c’est que ce soit vraiment une agriculture la plus naturelle possible, même si on sait très bien que l’on vit dans un monde qui est pollué. C’est difficile de trouver des produits dits purs, car la pollution est vraiment environnante.
Maintenant l’agriculture biologique va limiter grandement cette pollution importé par l’homme.
Elle va permettre de ne plus utiliser de pesticides de synthèse, de travailler avec le sol.
En Martinique, il faut que les sols soient testés car on a notre pollution récurrente : la chlordécone.
Ce pesticide a été utilisé dans des bananeraies pendant de nombreuses années et a durablement pollué nos sols agricoles. On parle de 40% de la surface agricole utile sur les chiffres de l’ADAF, (Direction de l’Alimentation de l’Agriculture et des Forêts). C’est au moins, une garantie que l’on peut apporter aux gens, se dire que l’on travaille seulement avec des produits certifiés et contrôlés par des organismes certificateurs, minimum une fois par an, parfois plus.
On s’est dit que ça pouvait permettre de répondre à ce besoin qui est de plus en plus prégnant pour les gens, d’avoir une assurance qu’ils ne mangent pas des produits qui sont bourrés de produits toxiques.
⚓️ Est-ce que tu travailles systématiquement avec les agriculteurs qui viennent te voir pour que tu les aides à trouver un terrain ? Est-ce que ce sont ces agriculteurs qui vous fournissent les produits bio ? ⚓️
Aujourd’hui, on bosse avec des agriculteurs qui sont déjà installés. On a fédérés une quinzaine d’agriculteurs qui travaillent avec nous, mais l’idée, effectivement, c’est que l’on puisse aider les jeunes à s’installer, et que par la suite, on leur offre un outil mis à leur disposition de distribution de leurs produits.
Aujourd’hui, ce qui est difficile pour un agriculteur, c’est qu’on lui demande de tout faire : de s’occuper de la comptabilité, il doit gérer sa production, sa distribution, aller sur les marchés, c’est très contraignant pour lui. Il ne peut pas tout faire. Déjà le métier d’agriculteur, est difficile, et prend beaucoup de temps : s’occuper de sa production, de sa ferme, de ses plantes, voir de ses bêtes quand certains font de l’élevage.
Si en plus, il doit gérer l’administratif, le commercial, la communication, c’est très compliqué. Donc l’outil Ta Nou Bio, est au service des agriculteurs. On ne négocie pas les prix. Ils nous disent le volume de fruits et de légumes disponibles et nous donne leurs prix. On estime que ce sont les mieux placés pour savoir quel est le prix qui rend le mieux honneur au travail qu’ils ont fourni dans leur production. Ensuite, on met les produits sur le site et on applique une petite marge, tout à fait raisonnable, de l’ordre d’une petite association que nous sommes.
Atelier Koudmen agroécologique |
⚓️ Nous nous sommes rencontrés sur le terrain de Pierre Gilles pour l’atelier koudmen.
Est-ce que c’est un agriculteur qui est venu pour trouver un terrain ? ⚓️
Oui, Pierre-Gilles est un ancien informaticien qui s’est reconverti. Il a passé son BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole). Il était à l’étape où il cherchait un terrain en 2018 et n’en trouvait pas forcément. Au même moment, nous avons eu la possibilité de mettre en place un partenariat avec la ville du Prêcheur et le bailleur social OZANAM qui avait un terrain à disposition et nous, avions un projet de ferme agroécologique. Cette rencontre s’est faite naturellement. On a rencontré Pierre-Gilles qui cherchait un terrain et nous on recherchait un maraîcher et un encadrant technique pour nos salariés en insertion et ça a super bien matché.
Pierre-Gilles est vraiment quelqu’un de génial, de passionné, ça se voit quand il anime des ateliers et quand il reçoit des gens à la ferme. Il est toujours à fond dans ce qu’il fait et c’est comme ça que le partenariat est né. Aujourd’hui, nous n’avons plus l’atelier chantier d’insertion mais il s’est installé en tant qu’agriculteur, cultive son terrain et le valorise de façon agroécologique.
⚓️ Pourquoi le chantier d’insertion avec les jeunes n’existe plus ? ⚓️
Un chantier d’insertion a pour vocation d’avoir une durée de vie courte. Ce n’est pas quelque chose qui dure très longtemps. Il se trouve que pour nous c’était un bon moyen de lancer l’activité, de pouvoir commencer à travailler à la ferme et d’accompagner des personnes. En même temps, c’était un modèle difficile à tenir pour nous car un chantier d’insertion peut recevoir beaucoup d’aide financière mais une partie doit être couverte par l’association. Le côté financier était parfois difficile à tenir, d’autant plus quand il y a des retards dans le versement des subventions, ça veut dire qu’il faut puiser dans la trésorerie et en tant que toute jeune structure la trésorerie est toute petite.
L’association s’est vraiment développée à partir du moment où on a lancé le projet de circuit court en terme de paniers bio en décembre 2019. Ça devenait intenable en plus du chantier d’insertion car ce nouveau projet mobilisait beaucoup de ressources dans l’association. Il fallait faire un choix aussi, et on s’est dit que c’était une belle aventure qui se terminait là. On a eu des supers salarié.e.s très motivé.e.s et on était content.e.s que ça a pu les aider dans cette étape de leur vie. Maintenant, ils et elles se projettent dans d’autres projets. Il y en a un qui a créé son entreprise, un autre a trouvé un super poste de valoriste, il répare du matériel électroménager, c’était son projet professionnel au sein d’une autre association. C’est bien de se dire que ça les a aidé et que ça a pu leur permettre de faire tremplin vers autre chose qui leur convienne.
PIERRE-GILLES |
⚓️ Est-ce que tu penses que ce que tu fais aujourd’hui est la suite logique de ce que tu faisais en France hexagonale ? Qu’est-ce que tu penses de ce cheminement, de ce voyage après toutes ces années ? ⚓️
En fait, je pense que j’ai fait ce que j’avais à faire. Je pouvais très bien faire mes études en Martinique et aller à l’université. J’ai fait deux années de classe préparatoire en lettres après le Bac. J’ai décidé de partir à 21 ans après ces deux années là mais j’aurais très bien pu rester c’était mon choix parce que j’avais besoin d’ouvrir mon horizon de me prouver à moi-même que je pouvais me débrouiller toute seule. Je l’ai fait et franchement c’est sans regret parce que j’ai passé de très belles années là-bas. J’ai rencontré plein de gens d’un peu partout. J’ai développé beaucoup de compétences, ça m’a forgé ! Je me suis rendue compte que je pouvais avancer même dans des situations difficiles. J’ai appris beaucoup sur moi-même et surtout j’ai appris à gérer mon stress car je suis une grande stressée ! J’ai l’impression d’avoir fait le parcours que je devais faire. Je me suis réellement écoutée ! Quand j’ai fini mes études, on m’a proposé un poste en CDD après avoir fait un stage à Pôle emploi Aquitaine et mon intuition m’a dit de faire un service civique. Je l’ai fait sur un programme qui s’appelle Média Terre, c’est un programme de sensibilisation à l’environnement, pendant 9 mois. C’était génial ! Ensuite, je suis devenue la lauréate de la première promotion de l’Institut du Service Civique. A l’époque, ça s’appelait comme ça, aujourd’hui, c’est l’Institut de l’Engagement, depuis 2012. Ensuite, super opportunité, on me propose un poste aux ateliers du bocage, une entreprise d’insertion liée à Emmaüs sur des missions géniales en lien avec la protection de l’environnement à travers tout ce qui est recyclage, reconditionnement et réemploi. Tout était parfaitement aligné, je n’ai pas à me plaindre, tout s’est enchaîné de façon logique, mais je pense sincèrement que c’est parce que je me suis écoutée ! Je sentais qu’il fallait que je fasse de cette manière et à chaque fois, une autre opportunité se débloquait.
J’ai fait six ans dans cette entreprise, il y a eu parfois des moments difficiles, dans toute structure on peut parfois rencontrer des obstacles, des personnes avec qui, travailler ensemble devient compliqué mais en même temps ce sont des moments qui m’ont aidé à devenir plus forte à mieux affronter les difficultés.
Après cinq ans là-bas, j’ai eu envie de faire autre chose et j’ai repris les études en alternance dans l’association où je travaillais; association qui s’est transformée en coopérative par la suite.
Du coup, j’ai fait un BPJEPS (Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport) : Ce sont les métiers de l’animation avec la spécialisation en éducation à l’environnement. Pendant un an, ça m’a permis de développer un parcours pédagogique hyper ludique au sein de l’entreprise d’insertion. C’est top, jusqu’à aujourd’hui, l’association reçoit du monde et ils font des visites avec ce parcours. Je suis super contente d’avoir pu faire ça et il était temps pour moi de rentrer. De retour en Martinique, je n’avais pas de travail mais ce n’était pas important.
⚓️ Pour toi quel a été le déclic de te dire que tu as besoin de rentrer ?
Tu ne t’es pas dit « je reste et je fais autre chose » ? ⚓️
Je suis quelqu’une qui programme beaucoup dans la vie et je m’étais dis que j’étais partie pour finir mes études. Je m’étais donnée pour objectif de travailler cinq ans. J’ai eu l’opportunité de faire cette formation et ensuite, tout naturellement, je rentrais. Je suis arrivée dans la boîte en disant dans cinq ans je m’en vais.
Non je n’ai jamais douté, je ne me suis jamais posée la question car c’était tellement clair dans ma tête.
⚓️ Tu es donc rentrée en Martinique, tes parents sont tous les deux ici sur l’île ?! ⚓️
Oui, après avoir vécu une trentaine d’années en hexagone. Je suis née là-bas, en région parisienne, à Ivry sur Seine (94).
⚓️ Concernant ton conjoint, tu l’as rencontré là-bas ? ⚓️
Oui, je l’ai rencontré quand j’ai fais ma formation en éducation de l’environnement. Il habitait à Saint-Nazaire. J’ai fait du coachsurfing chez lui, j’ai dormi sur son canapé. On est restés en contact et puis on s’est rapproché. Et avec lui, c’était pareil, quand on a commencé à sortir ensemble je lui ai dit : « Par contre, dans un an, je rentre ! »
⚓️ Tu as prévenu tous les gens que tu rencontrais ? ⚓️
Oui, j’ai été plus que transparente. Et il m’a dit : « On vit ce qu’on a à vivre ». Et du coup c’est ce qu’on a fait. Et moi évidemment je me suis attachée, je m’interdisais de lui demander de venir avec moi en Martinique pour une raison simple parce que je me disais : Moi je rentre en Martinique parce que mes attaches, ma famille est là-bas. J’ai un attachement viscéral à cette île et à mon territoire. Je me disais que je ne peux pas lui demander de venir avec moi et donc de se séparer de ses proches pour que moi je me rapproche des miens. Au final c’est lui qui m’a dit : « Je viens avec toi ! ». Bien sûr j’étais contente. Mais pour moi, c’était important que ça vienne de lui.
🌎🌎🌎
⚓️ Donc tu es rentrée avec ton conjoint et ta maison ? ⚓️
En 2016, il faut quand même que je précise que j’ai toujours été très sensible à tout ce qui est protection de l’environnement. Depuis que je suis toute petite, j’ai le sentiment que mon bien-être dépend aussi de celui de mon environnement, que ce soit humain, nature, animaux etc...
J’ai lu un livre qui m’a fait beaucoup réfléchir Vers la sobriété heureuse.
Je me suis toujours dit : « Si j’évolue quelque part, il faut que ce lieu ne soit pas pollué ni perturbé sinon je ne peux pas être bien dans ce lieu là». Et petit à petit, j’ai mis en place plusieurs actions dans ma vie. Après mes études notamment, je me suis sensibilisée, j’ai commencé à faire attention à ce que je mangeais, plus local, bien plus tard du bio, à m’intéresser au jardinage, à faire mes cosmétiques et mes produits ménagers moi-même. J’avais fait un petit potager d’intérieur. À l’époque, j’étais en appartement à Cholet, un ami m’avait construit un mobilier en palette avec des étagères et j’avais mis des cagettes avec de la terre et du terreau. J’ai planté et jardiné chez moi, j’ai créé un lombric composteur qui fonctionnait super bien.
Et un jour, je discute avec un ami qui a des vraies compétences en construction ossature bois qui a d’ailleurs construit lui-même une très grande maison en ossature bois où il vit et il me parle de Tiny House. À l’époque, c’était rentré par une oreille et ressorti de l’autre côté.
⚓️ Tu ne connaissais pas du tout ? ⚓️
Je ne connaissais pas du tout. En lisant un livre sur l’habitat minimaliste, « Vivre heureux dans un petit espace », je retombe sur ce concept.
Une petite maison en ossature bois construite sur une remorque double essieux donc mobile, construite avec des matériaux durables. J’en reparle avec cet ami et il m’a dit : « Si tu veux je t’aide à la construire! »
Et c’était parti ! J’ai commencé à faire plein de recherche tous les jours. J’ai construit, j’ai fait mes plans, j’ai appris à manipuler les logiciels 3D. J’ai passé plusieurs mois à faire que ça.
Des fois, je n’en dormais pas la nuit, à essayer de concevoir ma maison, mes besoins et comment je me représentais mon habitat, à rechercher des matériaux durables. Pendant la construction de la Tiny house, mes parents sont venus m’aider. Ils ont fait le déplacement depuis la Martinique en août 2017. Nous avons commencé à mettre la plate-forme en bois sur la remorque. On a bricolé tous ensemble, avec mes parents et cet ami. Le chantier a duré un an et deux mois. J’ai emménagé en novembre 2017 dans ma tiny house.
⚓️ Est-ce que tu avais un terrain ? ⚓️
Je n’avais pas de terrain mais ça ne m’inquiétait pas. Je suis active dans beaucoup de groupes d’échanges et je comprends que beaucoup de gens ne se lance pas parce qu’ils n’ont pas de terrain. Certains d’entre eux ont vraiment expérimenté de grosses difficultés, alors que moi je ne me suis pas posée la question. J’ai contacté mon réseau, mes collègues.
A l’époque, j’habitais à Cholet mais je travaillais dans l’entreprise d’insertion dont j’ai parlé en pleine campagne. J’ai demandé s’ils connaissaient quelqu’un.e qui avait un hangar agricole pour continuer mes travaux. On m’a présenté un couple de retraités, des anciens agriculteurs qui ont de l’espace.
En tant que communicante, j’ai créé ma brochure avec mon livret de présentation, qui explique qui je suis, pourquoi je construis une Tiny House et de quoi j’ai besoin pour les travaux.
On a discuté et je me souviens de la réaction de cette dame : « Avec vos petits bras, vous allez construire votre Tiny House ? »
Ils m’ont proposé leur hangar et ça c’est fait comme ça, j’ai payé 15 € par mois pour l’électricité. Souvent, ils me faisaient le café et on discutait, ils suivaient les travaux et toutes leurs familles qui venaient en vacances, suivaient les travaux également. A l’époque, j’avais créé un blog pour que ma famille, mes ami.es, mes collègues suivent l’avancée de la construction de la tiny house.
⚓️Tu es restée combien de temps chez eux⚓️
Mon chantier était chez eux mais j’habitais toujours dans mon appartement à Cholet. Le chantier était à 15 minutes de mon travail, j’y allais très régulièrement. Tous mes week-ends et vacances, je les passais sur le chantier. J’avais réaménagé mon planning de travail exprès, pour ne pas travailler le vendredi après-midi afin d’être sur le chantier. J’ai également eu des moments de doute, des moments difficiles, parce qu’à la moitié du chantier, l’ami qui m’aidait a eu des problèmes de famille et il n’était plus disponible. Je me suis retrouvée dans un moment de latence, je ne savais pas ce que je devais faire car j’avais aucune compétence. J’ai tout appris avec lui et pour la suite j’avais besoin d’être accompagnée. J’ai un autre ami qui me prêtait une bande de jardin dans sa propriété pour que je puisse cultiver. Lui-même est artisan, il m’a proposé de m’aider à finir de construire la maison.
⚓️Est-ce qu’il restait beaucoup de choses à faire?⚓️
On avait monté les murs et le toit mais il restait à faire l’isolation, l’arrivée de l’eau et l’électricité. On était vraiment à la moitié du chantier, je me souviens très bien qu’après coup, je leur avais demandé pourquoi ils m’avaient aidé car ils m’ont aidé gracieusement pendant un an et deux mois. Le premier, Sébastien, m’a dit : « je t’ai aidé parce que tu n’allais pas t’en sortir toute seule » Le deuxième Bernard, m’a dit : « je t’ai aidé parce que tu étais dans une situation très délicate, dans un chantier toute seule livrée à toi-même. » Finalement, tu vois que les gens sont présents pour toi !
Ce projet est très important pour moi car ça a vraiment marqué un grand moment dans ma vie. Je me suis rendue compte que, souvent on se met nos propres limites, nos propres barrières alors que l’on peut faire tellement de choses soi-même. On n’est pas obligé de faire les choses toute seule, juste en demandant autour de soi. Quand on est passionné par quelque chose, en en parlant, c’est incroyable le soutien que j’ai eu. C’est vrai que j’étais obnubilée par les travaux. Je parlais que de ça et tout le monde avait envie de suivre l’avancée des travaux.
On avait fait un pique-nique avec les collègues, quand j’avais bientôt fini la maison et d’autres personnes sont venus me donner des coups de main ponctuellement. C’est génial ce que l’on peut faire avec un peu d’entraide ! Maintenant, je me dis que je vis dans la maison que j’ai construite avec l’aide d’amis, c’est une grande satisfaction pour moi. Je suis fière de l’avoir fait.
⚓️J’y suis actuellement et je peux dire que ta maison est vraiment bien réalisée. Elle fait combien de mètres carrés ? ⚓️
Au sol, on a environ entre 11 et 12 m². J’ai deux mezzanines, une avec un plancher en bois et l’autre avec un filet d’intérieur, en tout, on est environ à 20 m².
⚓️Est-ce que cette maison est un projet sur le long terme, est-ce que tu te vois vivre encore longtemps dedans, avec ton conjoint et enfants?⚓️
Oui, je me vois vivre encore longtemps dedans, ce qui est intéressant avec ce petit habitat, c’est qu’il est modulable. Par exemple, en ce moment, je suis en plein projet d’aménagement, j’ai pris contact avec une décoratrice d’intérieur qui va m’aider à fabriquer du mobilier afin d’optimiser davantage l’espace à l’intérieur et de faire une deuxième mezzanine en dur pour une chambre d’enfants. Je ne me fais pas d’illusion, c’est clairement une expérimentation que je vis. En Martinique, en période de cyclones, je n’ai aucune garantie que la maison tiendra après le passage d’un gros cyclone. Un petit certainement, parce qu’elle a déjà essuyé des tempêtes dans l’Hexagone et ici on a eu beaucoup d’onde tropicale. Une tempête ça passe mais un gros cyclone déjà avec une maison classique, c’est compliqué alors je ne sais pas si ma maison va tenir. A la fois, je me vois vivre très longtemps ici mais certainement, je serais obligée de partir et de créer un autre habitat.
⚓️Donc tu voudrais en créer un autre toi-même?⚓️
Sincèrement, après avoir construit cette maison, je me revois travailler sur un autre habitat. Si j’habite ailleurs, j’aimerais participer comme j’ai pu le faire auparavant, j’aimerais faire mes plans, je ne le ferai pas toute seule parce que ça demande de vraies compétences, mais je me vois me remettre à réfléchir sur ce que je veux dans ma maison, comment je la construirai et participer aux travaux.
⚓️Et comment se passe la cohabitation à deux dans un petit habitat?⚓️
Ça se passe très bien, je suis contente d’avoir fait ce choix, de partir sur une Tiny House de 6 m de long parce que j’aurais pu faire plus petit surtout que j’habitais seule à l’époque, avant de rencontrer mon conjoint. C’est vrai que j’avais anticipé, si je la faisais plus grande, ça me permettrait de pouvoir y vivre à deux et même plus. Je ne regrette pas ce choix car quand j’ai commencé à habiter avec mon conjoint, on n’avait jamais vécu ensemble et ça s’est très bien passé. Depuis notre départ en Martinique, ça se passe très bien, on n’est pas à l’étroit et je suis sûre qu’à trois ça peut le faire aussi.
⚓️C’est parfait, je trouve que c’est tellement important de s’écouter, comme tu dis c’est une expérimentation et le jour où tu auras besoin d’autre chose, tu pourras le créer toi-même ! ⚓️
Je n’ai aucune garantie que mon besoin n’aura pas changé d’ici 10 ans et si c’est le cas ce n’est pas un problème. Il est possible également de construire un module à côté de la Tiny House pour peut-être avoir ma chambre à côté et ici le salon, la salle de bain et la cuisine, ou encore la chambre d’enfants dans un autre module. Après avoir construit ma maison, je me dis que tout est possible !
⚓️En plus, en Martinique on vit souvent à l’extérieur, tout est ouvert ? ⚓️
C’est vrai que je suis assez casanière donc je suis souvent à l’intérieur, mais je suis dehors aussi parce qu’on a un jardin, deux chiens, des poules et il faut s’en occuper. Je suis souvent en télétravail à la maison, devant mon bureau et mon ordinateur à bosser. En ce moment, on est en train de construire une terrasse donc ça va doubler la surface et on pourra tout faire dehors, manger dehors et ça va vraiment donner une autre dimension à la Tiny House.
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⚓️Est-ce que tu aurais une citation, une phrase inspirante qui te fais avancer au quotidien, à nous partager, que tu aurais entendue, vue ou encore lue ? ⚓️
Il y a une Citation de Thomas SANKARA qui m’a beaucoup inspiré.
Il était président du Burkina Faso, « le pays des hommes intègres » dans les années 80. Il a été assassiné en 87. Il était vraiment un visionnaire, il avait développé l’agroécologie dans son pays, il parlait d’autonomie alimentaire, d’éducation pour les femmes, d’égalité des chances et égalité des sexes.
« Vous ne pouvez pas mener à bien des changements fondamentaux sans un certain degré de folie. »
Quelque soit soit les changements que l’on veut mettre en place, si on n’a pas un petit peu de folie pour mener à bien tout ça, on ne fait rien. Ma maison, c’est clairement un pari de dingue pour moi, alors que je ne savais pas bricoler. Si, je n’avais pas eu ce grain de folie à l’époque, je ne me serais jamais lancée.
Que ce soit pour tout dans la vie, c’est comme ça, en juin 2020, que je suis devenue directrice d’une association. Si on m’avait fait une telle proposition trois ans auparavant, je serais restée paralysée par la peur et j’aurais pensé que je n’étais pas capable. J’avais déjà refusé des propositions avant car je ne me sentais pas prête.
Mais aujourd’hui, je me dis que je ne peux pas refuser, j’ai engrangé plein de compétences. Je n’ai peut-être pas toutes les compétences mais ça va venir petit à petit. Diriger une association est un vrai challenge pour moi, il y a des thématiques comme la trésorerie ou le financement, c’est assez compliqué mais ce n’est pas impossible. J’ai également demandé que ce soit une codirection, pour moi, c’est important de pouvoir discuter avec l’autre, de partager de s’appuyer sur quelqu’un.e aussi, c’est un vrai travail d’équipe ! Si je n’avais pas eu ce petit grain de folie, qui me disais, tu peux le faire ou au moins essayer, je ne l’aurais jamais fait.
⚓️Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, que tu as cette mentalité parce que tu as pu mener ce projet de Tiny House au bout et à bien ? ⚓️
C’est le fruit de tout mon parcours, de mes expériences et en partie de ce projet de construction, d’auto construction que j’ai mené. C’est également mon parcours professionnel associatif engagé qui aujourd’hui me permet de continuer à m’écouter. Effectivement, je ne vois plus les choses en me disant : « est-ce que je peux le faire ? » Je me dis plus : « est-ce que j’ai envie de le faire ? ». Et si j’ai envie de le faire, c’est à moi de me donner les moyens et même, si je n’ai pas tous les bagages à 100%, si j’ai déjà 80 % de ce qu’il faut, les 20 % restants je peux les acquérir.
⚓️Est-ce que tu aurais des choses à rajouter ?⚓️
Je sais que ton projet s’adresse pour une grande partie, aux femmes. J’ai envie de leur dire, à mes amies et en tant que femme, ne vous mettez pas de barrières supplémentaires car on sait très bien que dans notre société, nous avons déjà des barrières qui nous sont imposées, c’est déjà parfois difficile de les dépasser ces limites mais on peut le faire.
J’ai lu de nombreux bouquins sur l’égalité et je me suis rendue compte, alors même que les filles sont plus performantes que les hommes dans les études. Au travail, elles peuvent refuser certaines opportunités. Elles ne se sentent pas capables alors que les hommes même s’ils n’ont pas les compétences qu’il faut, vont y aller, parce que pour eux, c’est naturel de leur proposer des opportunités en tant que responsable. Ce livre m’a fait beaucoup réfléchir, évidemment l’objectif n’est pas de se mettre en difficulté. Moi-même, j’ai refusé des postes à hautes responsabilités parce qu’il me manquait certaines compétences au moment T.
Cette étude m’a permis de comprendre d’éviter de nous mettre nos propres barrières, essayer d’être la plus objective possible, se dire qu’on peut le faire, expérimenter, tester... Si ça ne fonctionne pas, ce n’est pas grave, au moins ça t’aura appris quelque chose et ça t’aura fait avancer et tu continues ton chemin.
C’est ce message que j’ai envie de faire passer, je me le dis à moi-même également tous les jours, il faut nous dire qu’on peut y arriver, personne n’est parfait et on a beaucoup à apprendre, tous les jours.
On peut apprendre à être au bon endroit, au bon moment ! Merci à toi.
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